mardi 4 octobre 2022

Une randonnée qui vire au cauchemar

J’ai fait un long détour pour revenir sur mes pas afin d’aller à Stavanger pour y faire l’excursion qui mène au fameux rocher Preikestolen, que voici :

 

Je suis d’abord passée par Bergen (aucune logique dans l’ordre) parce que ce n’était pas clair si c’était la dernière journée pour y faire une croisière. C’est ce que le site disait, mais finalement j’ai su là-bas qu’ils en font à longueur d’année. Bref, ça m’a fait faire plusieurs heures de route de plus pour rien.

À mon arrivée à Stavanger, je suis allée voir une rue qui est qualifiée d’une des plus belles selon mes guides. Je n’ai pas été déçue!

Le lendemain matin, je me rends comme prévu au bateau qui proposait une croisière d’un peu plus de deux heures dans un fjord pour nous déposer (mon mini groupe et moi, on était cinq plus le guide) à une vingtaine de minutes du point de départ de la montagne. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre. En fait, j’ai un peu sous-estimé la montée. Et surtout la température. Je me suis dit que si j’ai survécu au Machu Picchu pendant quatre jours de randonnée, je pouvais facilement faire celle-ci, de quatre kilomètres aller et même chose au retour. Pour vous donner une idée du niveau de difficulté, la montée prend en moyenne 2h30.

En arrivant, le guide nous mentionne qu’ils annoncent de la pluie. Bof, ça ne doit pas être si pire, mon manteau est imperméable. Il propose des bâtons de marche, mais encore une fois comme je ne sais pas dans quoi je m’embarque, je me dis que je n’en ai pas besoin. On commence la montée et c’est une solide pente. Le guide nous avait avertis, mais je pense que mon cerveau a oublié ce que c’est que du hiking. C’est là que je réalise que je n’en ai pas vraiment fait depuis le Pérou tout juste avant la pandémie.

Il commence à pleuvoir vers le deuxième kilomètre. Une petite pluie fine, ça se tolère. Je suis la plus jeune du groupe et une dame retraitée a mentionné avant le début qu’elle avait une cheville fragile et qu’elle était un peu craintive. Elle avait raison de l’être, c’était très rocailleux et très mouillé. Il fallait vraiment regarder ou on mettait les pieds. À la mi-parcours, le guide me propose de prendre son bâton. J’accepte volontiers. J’ai donc le bâton d’une main, la laisse de Charlot dans l’autre. À noter qu’il a fait ça comme un champion. Lui qui est un petit prince qui déteste marcher dans l’eau, il a fait de gros efforts et il arrivait à sauter sur de très hautes roches. Impressionnant le petit!

Plus on monte, plus c’est… le déluge. Dans la forêt, ça passe encore parce qu’on est un peu protégés. Mais vient un moment où ce sont des genres de plaines rocheuses et des marécages par-dessus lesquels ils ont bâti des petits ponts. La pluie déferle sur nous et ne semble pas vouloir s’arrêter. La deuxième partie est difficile sur le moral parce que mon manteau a beau être imperméable, il n’est pas miraculeux et je commence à être toute trempée. Au point où le guide me prête un chandail de laine que j’enfile sous mon manteau. Il était tellement trempé que j’avais l’impression d’enlever une combinaison de plongée.

À 250 m de la fin, tout va bien, on est sur de grosses roches bombées quand tout à coup, c’est la CATASTROPHE.

Je n’ai aucune idée de ce qui s’est passé, mais j’ai perdu pied et je suis tombée de la roche, sur mon côté droit. J’ai entendu trois craquements. J’ai hurlé. Panique totale. Je ne me souviens pas avoir eu mal de même de ma vie. Le guide accourt à mon secours et tente de me calmer. Je suis vraiment en état de choc et je dis que j’ai entendu craquer. Il tente de me réconforter en me disant que ce n’est pas parce qu’on a entendu craquer que c’est brisé, un peu comme quand on se craque les doigts. Étant une championne du craquage d’à peu près tout se qui se craque sur le corps, je sais très bien que ce n’était pas du tout ça, mais je garde espoir.

Je tente de me relever pour poursuivre la route. Après tout, le rocher n’est qu’à 250 m… Je fais deux pas et je crie. Je me résigne à me rasseoir. Le guide comprend alors que c’est plus grave que ce qu’il pensait et que son idée de « m’aider à descendre à se tenant à mes côtés » n’est plus d’actualité.

Je suis dans un état de découragement total. Je gèle, j’ai tellement mal que j’ai mal au cœur et je suis prise au sommet d’une montagne à deux heures de marche d’un quelconque secouriste en civière. Je ne peux pas croire que je vais devoir attendre tout ce temps et redescendre en civière tout ce dangereux trajet. L’autre option, c’est… l’hélicoptère. Le guide avait mentionné pendant la montée que c’était ce qui se passait quand des gens étaient blessés en haut. Mettons que ne s’attendait pas à passer de la théorie à la pratique.

Le guide appelle les urgences, qui contactent le pilote d’hélicoptère. Le temps est très brumeux, limite pour les conditions de vol. Il raccroche et me dit qu’il attend le retour d’appel. Ces minutes me semblent interminables, d’autant plus que je commence à souffrir d’hypothermie. Il m’a couverte du sac de couchage d’urgence, mais ça ne suffit pas. Il m’enlace et me frotte les bras et les épaules pour tenter de me réchauffer. Son téléphone sonne enfin : l’hélicoptère sera là d’ici une vingtaine de minutes. Le soulagement est énorme, mais en cas de détresse, de douleur extrême et d’hypothermie, 20 minutes, c’est long.

L’hélicoptère arrive et j’ai l’impression de me retrouver dans un film. Il est jaune fluo avec l’inscription en norvégien « Ambulanse ». 

Il se pose plus bas, si bien que je ne le vois pas d’où je suis. Deux gars vêtus de combinaison rouge de secouristes avec leur casque de protection et leur micro pour l’hélico apparaissent et viennent me retrouver. Je suis incapable de marcher. Ils me prennent chacun d’un côté mais ils doivent mesurer plus de 6 pieds, pas évident de mettre mes bras autour de leurs épaules. Je suis incapable de ne pas crier chaque fois que mon pied touche le sol. J’ai tellement mal que je n’arrive même pas à pleurer. J’embarque dans l’hélicoptère. Tout ce que je sais, c’est qu’on m’emmène à l’hôpital. Je ne sais même pas dans quelle ville. Le trajet dure 40 km. Au moins, la vue est belle :

 
Une fois à l'hôpital, je regarde sur Google Maps pour voir dans quelle ville je suis et à quel point je suis loin du port où est garée ma voiture. Surprise, je suis revenue dans la ville de départ et je ne suis qu'à huit minutes de là. C'est au moins ça!

Autre inquiétude, je sais que j’ai souscrit à une assurance-voyage en mars dernier, mais je n’ai pas trouvé la documentation avant de partir et j’ai oublié de téléphoner pour être certaine que j’avais bel et bien payé pour un an (bravo championne!). Quand je demande au guide s’il y a des frais – je fais quand même venir la cavalerie en hélico! – il me répond qu’en Norvège, les vols de sauvetage comme celui-là sont… gratuits! C’est un dilemme et une discussion chaque année au gouvernement, mais ils en viennent toujours à la conclusion qu’il vaut mieux offrir le service gratuitement que de risquer qu’une personne aggrave sa blessure parce qu’elle ne peut pas payer. On est loin des États-Unis!

À mon arrivée, j’ai encore l’impression d’être dans un film quand l’hélicoptère se pose sur le gros H jaune à l’hôpital. Légère déception, ce n’était pas sur le toit!

Un préposé m’attend avec un fauteuil roulant et m’emmène à ce que j’imagine être l’urgence. Ce n’est pas clair, il n’y avait pas tant de monde. Je suis encore très gelée alors on m’apporte des couvertures chaudes. On me place dans une chambre, le temps que je fasse les téléphones aux assurances. Heureusement, j’en ai! FIOU. Mais on me dit que c’est mieux si je paie et que j’envoie la facture au retour.

Peu de temps après, le chirurgien orthopédiste vient m’examiner pour déterminer les radiographies à faire. Tout ça se fait en un temps record, si on compare au Québec. J’attends un peu et je vais en salle de radiographie. Tout le long, Charlot est sur moi et personne ne mentionne quoi que ce soit à son sujet, à part qu’il est cute. Il est même sur moi pendant les radiographies! Un autre monde, mettons.

Le médecin revient peu de temps après pour m’annoncer les résultats.

-          Il y a une fracture (de la malléole latérale).

Oh shit. J’étais CERTAINE d’avoir une sévère entorse. J’étais dans le déni face au craquement depuis que le guide m’a dit que ce n’était pas automatiquement une fracture. Le médecin est là avec une attelle, qu’il m’installe. Il m’explique que je vais devoir passer une autre radiographie dans une semaine parce que si le ligament est déchiré, je vais devoir subir une opération. Je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi grave.

Ils me remettent mes béquilles et pendant que la secrétaire finalisait ma facture, l’infirmière a été d’une gentillesse incroyable. Elle a changé mes couvertures parce qu’elles étaient détrempées et quand elle a réalisé que j’avais encore froid parce que mes vêtements étaient mouillés, elle m’a donné une jaquette d’hôpital. Mais contrairement à nous, elles sont en coton et ça m’a vraiment fait du bien.

Elle m’a aussi demandé si j’avais faim et elle est allée me chercher un sandwich et un jus de pomme. Elle m’a proposé de lui prêter mon téléphone pour qu’elle puisse prendre mes radiographies en photo parce que je ne les avais pas vues et que je pourrais ainsi les montrer à mon médecin une fois au Canada. Au moment de partir, elle m’a apporté des sacs de plastique pour que je puisse mettre ma botte que je ne pouvais plus enfiler et mes vêtements mouillés. J’avais encore le chandail de laine et la lampe frontale prêtés par le guide et je n’arrivais pas à le rejoindre. Elle m’a non seulement proposé de les laisser là, mais elle a pris en note le nom de la compagnie pour elle-même les appeler et leur dire où venir chercher tout ça.

Et ce n’est pas fini! Elle m’a dit de garder la jaquette : « Une de plus, une de moins, ça changera rien ici! » Puis elle m’a apporté des médicaments contre la douleur de même que d’autres plus puissants à prendre au coucher. Elle m’a aidée à aller à un guichet pour régler la facture et a ensuite poussé mon fauteuil roulant jusqu’au stand de taxi et l’a commandé pour moi. Elle l’a attendu (ç’a pris quelques secondes), lui a expliqué en norvégien où me déposer et a attendu d’être certaine que j’étais correcte à l’intérieur du taxi avant de retourner à son travail. Vous dire à quel point j’ai été impressionnée par ce service!

Quand j’ai payé, c’était 2100 KR. J’ai abandonné les calculs du taux de change parce que c’est assez compliqué et je n’avais pas la tête à vérifier. Mais je m’attendais à une facture salée, dans les quatre chiffres. Ce n’est que quelques heures plus tard que j’ai fait la conversion et compris que tout ça – l’hélicoptère, les rayons X, les béquilles, l’attelle, la consultation avec le médecin et les antidouleurs –, eh bien ça m’a coûté… 261 CAD. C’EST TOUT!

Au moment de payer, j’ai vu cette toile – Takk est merci en norvégien – et je me suis dit que ça représentait exactement la reconnaissance que j’ai envers le personnel de l’hôpital.

Bref, je n’ai pas changé mon vol de retour après l’accident, mais j’y vais au jour le jour. C’est douloureux, je marche très lentement – au grand dam de Charlot – et je dois modifier mon plan de voyage en éliminant tout ce qui ressemble de près ou de loin à une randonnée.

Et j’avoue que j’ai encore des frissons quand je repense au gros « crac » que j’ai entendu et senti de même qu’en revoyant l’image de mon os solidement brisé sur les radiographies…


7 commentaires:

  1. Tu es très courageuse, promis rétablissement Joannie!

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  2. J’aime beaucoup te lire et je suis très peinée pour toi. Prend le temps de savourer la présence de Charlot. Il fera un très bon infirmier pour toi, j’en suis certaine.

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  3. Prends soin de toi, Joannie!

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  4. Prompt rétablissement Joanie!

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  5. Quelle aventure ! C’est tellement bien raconté que j’ai cru moi-aussi, pour un instant, entendre un gros crac !!! Merci Joannie d’avoir partagé tes mots ❣️

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  6. Toute qu'une histoire! Vive le système de santé norvégien....

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  7. Prompt rétablissement ma belle !

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