Je sais que mon blogue a l’habitude d’être plutôt joyeux,
mais cette fois je vais faire exception, car j’ai envie de vous raconter
l’expérience de ma visite au camp de concentration Auschwitz, en Pologne.
En fait, j’ai commencé à écrire ce billet il y a plusieurs
mois, mais je l’avais mis de côté pour une raison que j’ignore. Mais puisque c’est
aujourd’hui (27 janvier 2015) le 70e anniversaire de la libération des
prisonniers, j’ai décidé de le terminer et de vous raconter ma version de cette
visite troublante.
C’est donc une expérience assez marquante, mais je la conseille
fortement à tout le monde, ne serait-ce que pour se conscientiser et espérer
éviter un tel massacre humain à nouveau (cela dit, je sais qu’il se passe
probablement des choses aussi horribles en Afrique et au Moyen-Orient, par
exemple).
Dans l’anonymat
Ne cherchez pas d’écriteaux annonçant Auschwitz dans la
région où le camp se trouve, il n’y en a pas. D’abord parce que c’est le nom
allemand de la ville, qui est en fait Oswiecim – une ville située à une heure
de route de Cracovie –, mais également – je pense – pour en effacer les
souvenirs.
Il est donc fortement recommandé de s’y rendre avec un GPS!
Les seules indications que l’on y trouve, c’est une fois qu’on est sur place,
dans le stationnement.Il y avait deux autres sous-camps de concentration à
quelques kilomètres d’Auschwitz : Monowitz (je n’y suis pas allée et je ne
sais pas s’il a été détruit) et Birkenau, beaucoup moins connu, était le plus
gros des deux. On en connaît d’ailleurs tous l’image.
Quand on arrive, on voit la fameuse enseigne de fer sur laquelle est écrit «Arbeit macht frei», qui veut dire «Le travail rend libre». Quelle ironie, hypocrisie!
Il y avait deux rangées de clôtures barbelées. Personnellement, c’est ma photo «préférée» de mon voyage, car je trouve qu’elle fait ressortir une tonne d’émotions différentes.
Comme beaucoup de gens, j’ai vu des films comme «Schindler’s List» et je connais l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, grâce aux cours d’histoire du secondaire et du Cégep. Mais c’est complètement différent une fois qu’on est sur place et qu’on voit cette histoire en vrai, avec des vraies cabanes, du vrai fil barbelé et des vraies chambres à gaz.
Je ne sais pas si c’est parce que mon cerveau a eu un blocage devant tant d’horreurs, mais je n’ai pas réagi comme je m’y attendais. Je croyais que j’allais trouver ça super difficile, que j’allais pleurer, etc. (Je suis une grande sensible et je peux pleurer devant une publicité, si ça peut vous donner une idée.)
Mais non. Je crois que cette absence de larmes a été provoquée par le contraste que j’avais sous les yeux. La journée était parfaite, le ciel d’un bleu magnifique, le gazon vert à faire envier tous les voisins. Toute cette beauté était à des années-lumière des images horribles en noir et blanc que l’on voit habituellement. Mon cerveau n’a pas vraiment pu faire la «connexion». Et c’était probablement mieux ainsi.
Durant la visite, j’ai plutôt été fascinée. J’écoutais chacun des détails que nous disait notre guide, je prenais des notes, je photographiais tout pour être certaine de ne rien oublier. Mais aussi, je passais mon temps à me dire que c’était impossible.
Impossible que des êtres humains aient pu perdre toute humanité comme ça. Le mot horreur n’est pas assez puissant pour décrire tous les crimes qui y ont été commis. Le pire, c’est que la plupart des informations sont connues aujourd’hui parce que les tortionnaires prenaient plaisir à les détailler, les noter. Ils devaient en ressentir une fierté. Fierté absolument malsaine, il va sans dire.
On est bombardés d’informations. Les statistiques, toutes plus irréelles les unes que les autres, défilent à la vitesse de l’éclair.
La prochaine m’a brisé le cœur. Environ 232 000 enfants ont été déportés à Auschwitz. Ils sont presque tous morts tout de suite, gazés. On n’en a enregistré que 22 000 comme prisonniers. Il y a 70 ans, lors de leur libération, il n’en restait que… 650, dont 450 de moins de 15 ans.
On nous raconte comment les gens se faisaient prendre. Comment expliquer que des familles complètes arrivaient là avec leur valise et tous leurs effets personnels? On leur avait vendu une vie parfaite. L’espoir de refaire leur vie avec un lot de terre et une compagnie qu’ils achetaient. Donc après avoir pris leur argent, on leur prenait leur famille, leur liberté et leur dignité. Bref, les prisonniers ont littéralement payé pour leur massacre.
Ils comprenaient le subterfuge une fois qu’ils débarquaient du train, là où le chemin de fer prenait abruptement fin.
On a tous l’histoire. Ils les triaient en sortant du train. Les plus faibles, les plus vieux : direction chambre à gaz. Ils y allaient en croyant y prendre une douche. On avait même poussé l’arnaque en installant quelques fausses douches.
On en entassait 2000 dans une chambre et on les tuait. L’agonie durant 15 à 20 minutes. Les nazis prenaient ensuite tous les bijoux, les dents en or et les cheveux avant de brûler les corps.
D’ailleurs, deux histoires m’ont vraiment levé le cœur avec les cheveux récupérés (cœurs sensibles,
vous êtes avertis). Ils étaient envoyés en Allemagne où ils étaient vendus pour faire du tissu que les gens achetaient évidemment sans savoir de quoi il était réellement fait. Cela signifie que des gens ont porté des vêtements faits de cheveux de victimes ou se sont assis sur un sofa fabriqué avec ce tissu de l’horreur.
Puis, lorsque le camp a été libéré, ils ont trouvé une cargaison de cheveux qui n’avaient pas encore été envoyés en Allemagne. On les a mis dans une grande pièce vitrée. Je ne trouve toujours pas les mots pour décrire ce que j’ai ressenti en voyant ça.
On a aussi empilé ce qu’ils ont retrouvé de souliers – ceux pour enfants sont à fendre l’âme –, des lunettes, des béquilles et des valises. Sur ces dernières, on leur faisait écrire leur âge et leur nom, pour leur «redonner» après la douche…
Dans le fond, les gens qui ont tout de suite été tués sont peut-être les plus «chanceux» du lot, car ils n’avaient pas à subir toute la maltraitance. Les enfants adorables, blonds aux yeux bleus? On les reprenait. Ils étaient de la bonne «race», alors ils se faisaient adopter en Allemagne. Ils gardaient aussi les jumeaux, parce que les médecins voulaient les étudier pour savoir comment reproduire le phénomène et ainsi faire augmenter la population des gens «purs» plus rapidement.
Sur les murs, on voit des photos de prisonniers qui ont perdu la moitié de leur poids au camp. D’autres sont placardées de photos des prisonniers, avec la date d’arrivée au camp et celle de leur décès.
Notre guide, assurément juif, priait lorsqu’on se trouvait dans des endroits plus difficiles. En aucun cas il n’a prononcé le nom de Hitler.
Toujours debout
On a également pu voir les «cellules debout». C’était minuscule (un mètre carré) et ils devaient être quatre à l’intérieur. Ils n’avaient d’autre choix que d’être debout toute la nuit et aller travailler toute la journée le lendemain. Mais comme dans la vraie vie, on ne dort pas comme Popa et Moman de «La petite vie», plusieurs mouraient de fatigue ou de suffocation au bout d’une douzaine de jours. Ils devaient aussi y entrer par une petite porte, comme s’ils étaient des chiens.
Un autre moment frappant est lorsqu’on passe devant le «Black wall». C’est là où étaient exécutés à bout portant des prisonniers. Ils se tenaient devant le mur, nus, et on les tirait dans la nuque. Le mur est fait de liège, comme ça les balles ne rebondissaient pas sur les tireurs et les fusils avaient des silencieux. Le mur est dans une cour, entre deux bâtiments où se trouvaient d’autres prisonniers, surtout ceux qui étaient voués au même sort. Mais les fenêtres étaient barricadées, alors ils n’avaient aucune idée de ce qui se passait de l’autre côté du mur de brique.
Les couchettes… Comme c’était dégueulasse! Ils dormaient quatre par étage, sur de la paille. Les plus forts réussissaient à aller en haut. Mais comme ils étaient tous très malades parce que très mal nourris, il arrivait souvent que les prisonniers soient malades. Ceux qui étaient en dessous recevaient tout ça sur eux. Et évidemment, la paille n’était jamais changée.
Pour poursuivre dans la saleté et le dégoût, les toilettes n’étaient que des trous, où l’odeur était évidemment épouvantable. Sauf qu’il semble que c’était le seul endroit où les prisonniers avaient un peu d’intimité, parce que ça puait trop pour que les capos y entrent. C’est aussi là qu’ils essayaient de planifier des rébellions, en tentant tant bien que mal de se comprendre, car il était rare que deux personnes parlent la même langue.
On est entrés dans une chambre à gaz. Difficile de croire tout ce qui s’est passé là. En entrant, on y lit une affiche nous rappelant qu’on entre dans une pièce où les «SS» ont tué des milliers de gens. On nous invite à garder le silence et à nous remémorer leur souffrance. Pas besoin de nous demander de nous taire, on est sans mot une fois à l’intérieur.
De l’extérieur, ça n’avait l’air de rien. Une porte dans une petite butte. À l’intérieur, il y avait encore des fours où des milliers de corps étaient brûlés chaque jour.
La chambre à gaz à Birkenau a été détruite par les nazis quand ils ont su que l’Armée rouge arrivait. Rien n’a été changé depuis.
Au début, tous les bâtiments étaient faits en brique, avec les matériaux des maisons détruites dans les villages avoisinants. Comme ceux-ci :
Mais quand ils se sont rendu compte que le bois coûtait moins cher, ils ont construit le reste avec ça.
Certaines ont été restaurées pour les visiteurs, mais le reste est tombé en ruine. Les poêles ne sont que des parures. Ils n’avaient pas de chauffage.
Les conditions de travail étaient inhumaines, c’est clair. Plusieurs sont morts au travail. Comme il y avait un décompte et que des punitions étaient données aux prisonniers si quelqu’un manquait à l’appel, il leur arrivait souvent de devoir traîner le corps d’un «collègue» à la fin de la journée.
C’est donc ça, mon souvenir d’Auschwitz. Je n’y retournerai probablement jamais. Mais jamais je ne l’oublierai.
En terminant, si vous ne l'avez pas encore vue, la vidéo prise par un drone et mise en ligne par BBC est à voir, absolument.